Le thème de l’édition 2024 des « portes ouvertes des jardins des membres de Nature & Progrès » n’a pas été choisi par hasard. Les bouleversements climatiques nous plongent dans l’incertitude totale. Quelle météo aurons-nous cette année ? A l’heure des principaux semis, personne ne peut dire s’il fera sec, humide, froid ou chaud. Que semer, que planter, dans nos champs et dans nos jardins, pour assurer notre alimentation dans un contexte de climat changeant ?

 

Par Sylvie La Spina, rédactrice en chef

 

 

« Produire notre alimentation localement » est une valeur défendue avec beaucoup d’énergie par l’ensemble de la communauté Nature & Progrès. Que ce soit dans les champs de nos producteurs bio, ou dans les jardins potagers citoyens, chaque année représente un défi pour maintenir et renforcer notre degré d’autonomie, pour maîtriser toutes les étapes de la production alimentaire, de la terre à l’assiette.

 

Les modifications climatiques viennent, d’année en année, renforcer les incertitudes liées aux conditions météorologiques de l’année. Les constats sont identiques partout, et notamment quantifiés par l’Institut Royal Métérologique en Belgique : les extrêmes se multiplient. Sécheresses particulièrement précoces, périodes excessivement humides, canicules ou coups de froid, les mois passent et ne se ressemblent pas. Un nouveau défi pour choisir les cultures qui produiront notre alimentation dans ces conditions fluctuantes et incertaines.

 

Plus que jamais, opter pour la biodiversité améliorera la résilience de nos jardins et de nos champs. En cherchant à diversifier la génétique de ce qu’ils auront semé et planté, jardiniers et producteurs auront de meilleures garanties d’avoir quelque chose à récolter. L’offre des plants et semences produits par les fournisseurs de matériel végétal répond-elle à ces défis ? Que choisir ?

 

Diversité des espèces

La créativité de Dame Nature nous a gâtés. Notre flore recèle d’une multitude de plantes comestibles. Certaines sont restées sauvages, s’épanouissant sur les bords des chemins, dans les prés et dans les bois. D’autres ont été mises en culture par l’Homme, qui les a progressivement « améliorées » par sélection. C’est ainsi que la carotte sauvage, dont la racine n’est pas très appétissante, a donné la carotte cultivée, douce et charnue, peu concentrée en substances de défense. La pomme sauvage, petite et acide, a évolué vers des fruits plus gros et sucrés, certaines variétés étant capables de se conserver de nombreux mois dans nos celliers.

 

Nous avons donc le choix entre de nombreuses espèces végétales fournissant feuillages, fruits, graines ou racines. Bonne nouvelle ! Les catalogues de nos semenciers sont de plus en plus riches en fruits et légumes venus d’ici ou d’ailleurs, adaptés à nos régions. Topinambour, persil tubéreux, chou chinois, châtaigne de terre, oca du Pérou, cardon, bardane japonaise, amarante… Les jardiniers, les producteurs et les consommateurs peuvent tester et goûter ces nouvelles saveurs. Les exigences de ces plantes étant très variées, toutes les cultures ne réussiront pas chez tout le monde, mais de belles découvertes sont au rendez-vous.

 

Diversité au sein des espèces

La diversité génétique se trouve aussi au sein-même des espèces, dans les différents clones, les variétés et les hybrides. Un rappel de définitions s’impose.

 

Les plantes issues de reproduction végétative, soit, les clones, présentent peu de diversité génétique. Saviez-vous que toutes les pommes Jonagold sont issues de la multiplication de trois méristèmes ? Heureusement, la Nature fait bien les choses : les mutations naturelles ont donné naissance à une diversité génétique se reflétant dans la couleur du fruit allant du rouge foncé au rouge vermeil.

 

Les lignées pures correspondent à des populations qui produisent, par croisement ou autofécondation, des descendants toujours semblables entre eux ainsi qu’aux géniteurs. Lorsque vous semez des graines de carotte Rodelika, vous obtenez des carottes conformes à la description de la Rodelika. Tous les individus sont génétiquement identiques et homozygotes pour les caractères pour lesquels ils ont été sélectionnés. Ce sont les variétés reproductibles de nos fruits et légumes. Si la variabilité génétique au sein d’une lignée pure est extrêmement pauvre – puisqu’elle induirait une non-conformité de la descendance par rapport aux standards de la variété -, la richesse se situe dans la diversité de ces différentes variétés.

 

Les hybrides sont, quant à eux, issus du croisement qui peut avoir lieu entre espèces différentes – on obtient alors une descendance stérile -, ou au sein d’une même espèce. De manière générale, les descendants de ces croisements bénéficient de l’effet d’heterosis, c’est-à-dire qu’ils présentent une vigueur accrue par rapport aux parents. Penchons-nous donc sur ces hybrides.

 

Le croisement de deux lignées pures donne, en première génération, des hybrides F1 dans lesquels s’expriment les caractères dominants des parents. On y observe une forte homogénéité, soit, des plantes et semences que nous achetons. Si l’on resème les graines issues de ces F1, il y a disjonction des caractères. La génération F2 est, de ce fait, hétérogène au niveau morphologique et/ou physiologique. On n’obtient donc plus des copies conformes des « parents » (les hybrides F1), ce qui est reproché à ces plantes : il faut racheter des plants ou des semences chaque année. Si l’on croise des hybrides F1, les hasards de la combinaison des gènes fournit cependant une diversité génétique intéressante en termes de résilience et de diversité !

 

Le croisement d’un ensemble d’individus de la même espèce, mais présentant une génétique variée, peut aboutir à une « variété population ». Elle correspond à un ensemble d’individus aux génotypes variés, multipliés en pollinisation libre et sélectionnés par sélection massale. Ce n’est pas une variété au sens usuel du terme, car elle ne répond pas aux critères DHS (distinction, homogénéité et stabilité) permettant l’inscription au catalogue. La réglementation européenne reconnait l’utilité des variétés population et en autorise l’utilisation pour les producteurs biologiques.

 

Diversité, mais pas manipulation !

La diversité naturelle des gènes des plantes nous intéresse en termes de résilience, et on la retrouve notamment au niveau des hybrides. Si on recherche la diversité génétique, ce n’est pas, pour autant, une raison d’accepter les organismes génétiquement modifiés ! Un OGM est, selon la définition officielle (Directive européenne 2001/18/CE), « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Il y a donc intervention humaine artificielle par manipulation de génome, ce qui est bien différent de la sélection qu’effectue le jardinier qui ressème les graines issues de ses plus belles et délicieuses tomates !

 

Evoluer dans les pratiques

La diversité végétale, augmentant la résilience de nos cultures, peut être atteinte en multipliant les espèces cultivées ainsi que les variétés de ces espèces, les « lignées pures ». Les catalogues des semenciers recèlent de variétés, avec une attention accrue pour les sélections anciennes, dites « de terroir », qu’ils se donnent pour objectif de conserver et de multiplier. Nature & Progrès défend, depuis de nombreuses années, la diversité végétale et sensibilise les jardiniers et les producteurs à l’importance de préserver, et de participer à la préservation des nombreuses lignées pures, issues de générations de sélectionneurs, aussi bien professionnels qu’amateurs.

 

Dans les champs et dans les jardins, il sera nécessaire de jongler avec les variétés. On distingue souvent les variétés de printemps, d’été ou d’automne du même légume. Par exemple, les laitues de printemps sont adaptées pour démarrer tôt, mais elles sont sensibles à la chaleur et à la sécheresse qui les fait monter à graines. On les remplace donc au cours de la saison par des variétés d’été, mieux adaptées à ces conditions, pour terminer avec des variétés d’automne, poursuivant leur croissance malgré les premiers frimas. Mais à l’heure où les épisodes de sécheresse frappent tôt et fort, ne serait-il pas intéressant de changer nos habitudes en multipliant les variétés cultivées tout au long de l’année ?

 

Au-delà de ces adaptations de pratiques, un changement plus profond dans la manière de considérer les variétés semble opportun. On a l’habitude, quand on fait ses propres semences, de veiller à la pureté de la variété. Pour les courges, cela passe le plus souvent par des fécondations contrôlées. Pour d’autres légumes, on s’assurera de ne pas laisser fleurir des variétés différentes dans un certain périmètre pour éviter les croisements. En fonction du mode de reproduction de la plante (autogame ou allogame, fécondée par le vent ou par les insectes…), un cortège de bonnes pratiques a été défini pour maintenir, à tout prix, la pureté variétale et la perpétuer d’année en année.

 

Si ces pratiques sont indispensables pour les semenciers, qui proposent des lignées pures, ne devraient-elles pas être revues, dans nos champs et dans nos jardins ? N’est-il pas préférable de cultiver des variétés populations, en croisant, autant que possible, des génétiques diversifiées (sur base des lignées pures proposées par les semenciers), afin d’accroître les chances d’obtenir, selon les aléas de la météo, une récolte suffisante à l’autonomie alimentaire individuelle ou à l’équilibre financier de la ferme ? Une idée à essaimer auprès des producteurs et des jardiniers.